La résurgence de l'Ouest

La forêt de Nemeton au sud de Zakol, n'était pas des plus fréquentée. Sa bordure toutefois, était presque entièrement entourée de petits sentiers, et encore. On y voyait rarement passer quelqu'un et les quelques êtres s'y aventurant étaient encore à ce jour, surtout des voyageurs téméraires, ainsi que des Claymores. En effet, même si les temps avaient changé, ces guerrières aux yeux d'argents patrouillaient toujours dans la région, à un rythme bien moins fréquent qu'auparavant toutefois. Les humains des parages bien que les tolérant, préféraient ne pas en voir trop traîner par ici. Certaines villes alentours acceptaient leur présence lorsqu'elles se montraient discrètes... mais les petits villages par contre, ne se montraient pas aussi charitables. À moins de vraiment connaître la guerrière, ils n'en laissaient plus aucune entrer.
De temps à autre, lorsqu'un yôma les attaquaient, l'une de ces sorcières finissait toujours par apparaître, demandant de l'argent pour son propre compte ou non, dépendant des individus. Quoiqu'il en soit, les villages ne payaient plus, préférant ne plus avoir affaire à « cette racaille démoniaque ». Ils les accusaient d'êtres les mères des démons et depuis la disparition de l'organisation, n'avaient plus aucun égard pour la partie humaine de ces femmes. Leurs maîtres avaient disparus, elles n'étaient donc plus que des chiens sauvages en liberté, extrêmement dangereux à leurs yeux.
Aussi, afin d'éviter de continuer à dépendre de ces indésirables, commencèrent-ils à mieux coopérer entre eux. Les différents villages montèrent une milice, qu'ils organisèrent du mieux qu'ils purent, demandant même de l'aide aux grandes villes alentours, comme Zakol ou encore Tenos, plus à l'est. Ces dernières toutefois acceptant les guerrières aux yeux d'argent, ellees ne voyaient pas pourquoi elles devaient aider ces campagnards butés... bien que moyennant finances, quelques gardes furent finalement prêtés. Ils ne furent toutefois pas d'une grande aide.

Ces derniers temps cependant, l'efficacité des miliciens alla en grandissant. Plus coordonnés et mieux rompus au combat, ils parvinrent même à abattre quelques yômas par groupes de dix humains. Ces succès, ils les devaient à un homme, un guerrier bienfaiteur qui leur conseilla même de mieux fortifier leurs villages, et de commencer à travailler la pierre plutôt que le bois pour les bâtisses. Cela fait un an maintenant que les villageois s’exécutaient. Au début, ils furent plus que réticents, craignant que la légendaire sorcière vivant dans les montagnes ne dévore leurs hommes aux carrières. Cette dernière cependant, ne se montra pas et l'étranger les mena même à la caverne, leur prouvant qu'elle ne s'y trouvait plus.
Finalement, le projet inter-villages fut accepté, les maisons commencèrent à se renforcer. Plus que cela, les travaux d'un mur qui relierait chaque village, fut débuté.

Veillant au bon déroulement des travaux, tout en demeurant assez en retrait pour ne pas attirer l'attention des Claymores, l'éveillé du nom de Zakk parcourait la région de long en large, se rendant dans chaque village, mais revenant toujours dans les profondeurs de la forêt de Nemeton. Aujourd'hui, il en ressortait.
Celle qui fut appelée l'abyssale de l'Ouest reprenait ses forces, lentement certes, mais graduellement. C'était tout ce qu'il avait besoin de savoir. La conscience de son défunt amant, Duff, semblait s'être évanouie en elle mais l'ancienne reine de cette région, ne s'était pas encore remise de sa confrontation avec Priscilla et de la perte de son homme. Elle souffrait, mais la flamme de la détermination brûlait dans son regard. Elle voulait vivre. Zakk sourit à cette pensée. Elle s'en remettrait, bien que pour le moment, la garder dissimulée soit la meilleure solution. Comme Isley au Nord se faisant passer pour un humain, Riful devait rester comme presque tous les éveillés à ce jour, dans l'ombre.
L'alliance de l'Ouest, que Riful avait autrefois formée, semblait morte. Ou du moins, aucun de ses membres n'avaient donné signe de vie pour le moment. Zakk irait à leur recherche plus tard. Ce n'était pas le plus pressant.

Aussi, Zakk s'éloigna-t-il de l'orée de la forêt, pour reprendre sa route vers l'ancienne antre de la sorcière.
S'il leur avait montré la voie, c'étaient les humains des villages de cette région qui prenaient leur destin en main. Il ne s'agissait là, que de la première phase de son plan. La seconde était en préparation, dans les anciennes ruines où logeait autrefois l'abyssale.
Lorsque l'éveillé les atteignit, après plusieurs jours de marche, il pénétra dans la forteresse aujourd'hui en partie rénovée. Devant la porte, une silhouette vêtue de tissus violacés l'attendait. Elle hocha la tête en l’apercevant.

- Nous aurons terminé dans une ou deux semaines au plus tard. Lui déclara Siria.

-Solon ? Répondit-il, simplement.

- À la tâche.

Zakk approuva du chef, avant de pénétrer la bâtisse. Bien que des débris jonchaient toujours le sol, leur nombre avait de beaucoup diminué et les parois internes ressemblaient enfin à des murs dignes de ce nom. Les deux éveillés empruntèrent un couloir qui les menèrent à une autre pièce, au fond de laquelle un être du triple de leur taille s’affairait à renforcer un mur porteur.
Solon, ancien numéro six, ancien ennemi de Zakk et fortement diminué après leur combat, voilà plus d'un an de cela.
Solon avait voulu profiter de la disparition d'Isley pour prendre possession du Nord, et Zakk lui avait tout simplement remis les idées en place après avoir découvert que cet ancien numéro 6 ne désirait que dévorer tous les humains de la zone. Quelques peu contre-productif comme plan de gérance, de ce que Solon considérait comme du bétail.

Diminué et mutilé, Solon avait dû capitulé. Il ne servait plus depuis, que d'esclave à Zakk.

- Il n'a pas posé de problème ?

- Comment le pourrait-il ? Ricana-t-elle. Il est à peine meilleur qu'un yôma dans cet état. Plus aucun yôki ne s'écoule de lui.

La bête se détourna de ses travaux, grogna en apercevant l'ancien numéro trois, et s'empressa de s'en retourner à sa tâche, couinant comme un chien blessé. Son cerveau ne semblait pas avoir beaucoup récupéré. Enfin, il remplissait son office. C'était ce qui comptait.

Se détournant, Zakk sortit de la pièce, et retourna dans le hall principal. Son regard se porta à droite, à gauche, puis il retroussa finalement ses manches.
De son côté, Siria s'assit contre le mur opposé.

- Tu ne comptes pas m'aider, bien sûr. Dit-il en jetant un regard à sa camarade.

Les dents acérées de l'éveillée se retroussèrent en un sourire amusé.

- Tu est toujours là à nous faire travailler. Ce n'est pas désagréable de se la couler douce en te regardant trimer pour une fois.

Zakk sourit. Il détacha l'un des tubes en métal attachés à sa ceinture, ceux-là même qui lui permettaient de conserver des tripes séchées sur de longues périodes de temps. Il la lança en direction de Siria qui l’attrapa, et en grignota tranquillement le contenu.

Saisissant sa première pierre, l'ex-numéro trois se mit donc au travail.

Le soleil se leva sur les cimes du mont Zakol. À mesure que l'astre montait dans le lointain, sa lumière semblait s'écouler sur les montagnes, se rapprochant peu à peu du sol, pour finalement toucher l'entrée d'une forteresse encastrée dans la roche même. Cette nouvelle journée inaugura l'ancienne antre de la sorcière, dont la remise à neuf s'était terminée la veille au soir.

Les battants de la porte en pierre ouverts, la lumière du jour pénétra le hall d'entrée. Les murs portaient encore les marques des siècles passés ainsi que de l'éboulement qui avait il y a quelques temps achevé la bâtisse, mais tenaient désormais debout, plus solides que jamais.
Dans la dernière pièce du fond, éclairée à travers une meurtrière, un homme leva ses yeux vides vers la lumière. Il semblait complètement absent, mais allait néanmoins bien mieux que la semaine précédente. Aussi, Siria procéda à la lobotomie hebdomadaire, nécessaire à la docilité de Solon, l'ancien numéro six.
Dans un craquement sourd, la main de l'éveillée doubla de volume, et prit une teinte écarlate alors que des pointes osseuses noirâtres sortaient de sa chair. Le regard de la bête mutilée se fixa sur les griffes de son ennemie, et de la crainte mêlée de haine envahit son expression.

- Ne t'en fais pas. Lui dit-elle. Ton utilité touche à sa fin. Cette fois sera la dernière.

Zakk était parti vers Nybor, l'un des plus grands villages de la nouvelle petite coalition. Il ne leur restait plus ici, qu'à procéder à la dernière chasse.



- Et donc, le mur liant Diggan avec Timas...

- Sera achevé dans les jours qui suivent, c'est bien cela. Termina le vieil homme avec fierté.

L'être à l'apparence de jeune homme sourit. C'était parfait. Ses projets avançaient plus vite encore que ses prédictions. Ces humains ne cessaient vraiment de le surprendre.

- Je dois dire, reprit Tiberias, le chef du village, que lorsque vous êtes venu à nous pour la toute première fois, j'avais mes doutes. En vérité, je vous prenais pour un jeune rat des villes tentant de profiter de nous, provinciaux, nous croyant naïfs. Il lâcha rire franc. Mais ce que vous avez fait pour nous, et sans rien demander en échange... nous vous sommes vraiment reconnaissants.

Zakk se reposa sur le dossier de la chaise, et sirota une gorgée du lait de chèvre qui lui avait été servi. Cela n'avait pas un goût très agréable, il devait l'admettre, contrairement à l'alcool, dans les fortes arômes lui chatouillaient le palais. En comparaison, un breuvage aussi doux que le lait revenait pour lui à avaler de la vase. Son hôte toutefois l'ayant servi sans attendre de consentement, l'éveillé fit de son mieux pour faire en apparence au moins, honneur à sa boisson.
Après avoir avalé encore une gorgée, il posa finalement sa choppe. Un sourire énigmatique flottait sur son visage.

- Rien n'est jamais véritablement gratuit. Vous vous en doutez, n'est-ce pas ?

Éclatant d'un rire guttural, Tiberias envoya une claque dans le dos du "jeune homme".

- Ne me crois pas né de la dernière pluie, petit. Mais quelque-chose me dit que tu n'es pas là pour nous extorquer de l'argent ou des ressources. C'est pour cela que j'ai finit par te soutenir. Son hilarité passée, son regard se fit beaucoup plus intense, presque malicieux. J'imagine que tu attends de nous un quelconque service. Parle maintenant. Quel est ton prix ? Notre obéissance, nos vies ? Veux-tu de la chair, yôma ?

Zakk se leva. Son visage n'arrivait pas tout à fait au même niveau que celui du vieil homme, dont la taille et la corpulence étaient relativement impressionnantes.
Le sourire de la créature, jusqu'ici calme et aimable, se distordit en un rictus amusé.

- Je me disais aussi que ces gardes dehors n'étaient pas là pour nous apporter plus de lait de chèvre. Il soupira finalement, abandonnant lui aussi les salamalecs et les vouvoiements.. J'imagine que si tu ne les as pas encore lâchés sur moi, c'est que tu attends quelque-chose de moi. J'aurais une question toutefois avant que tu me poses les tiennes. Comment m'as tu démasqué exactement ?

Tiberias rit de nouveau... bien que cette fois, son hilarité s'apparentait plus à un rugissement nerveux.

- J'avais un doute depuis le début. Tu semblais si bien connaître ces créatures. Mais aucun être humain de ta corpulence aurait subi cette claque je t'ai envoyée, sans flancher ne serais-ce que d'un pouce.

Zakk leva les yeux au ciel. Cela faisait un certain temps qu'il n'avait pas fréquenté les mêmes humains à intervalles aussi réguliers. Il avait semblerait-il fait preuve d'un peu trop d'imprudence.
Il se maudit intérieurement. La seule chose qu'il espérait maintenant, c'est de ne pas avoir à recourir à sa solution d'urgence afin que ses projets puissent se poursuivre sans encombres.

- Très bien. Souffla-t-il. Que veux-tu?

- Tout d'abord, dis-nous pourquoi tu nous as aidé en nous montrant comment traquer et tuer les tiens. Ensuite, tu me diras pourquoi tu as soutenu les villages et renforcé nos défenses ? Es-tu en train de créer un enclos pour ton bétail, c'est ça ? Et pour finir, je te demande de me donner une seule bonne raison de t'épargner, monstre !

Tout à coup, l'homme cligna des yeux. Il n'y avait plus personne devant lui. Il fit volte-face et dégaina sa lame. Il ne vit rien non plus. Reculant prudemment vers un mur, il ouvrit la bouche, s'apprêtant à appeler des renforts.

- Tout ceci est très simple. Sa voix provenait de derrière l'homme. Celui-ci frappa d'un mouvement circulaire avec sa lame, qui ne toucha que le mur. Zakk posa une main sur l'épaule de Tiberias. Cette fois, il se trouvait juste à côté de lui. Les yômas ne sont que des bêtes parasites sans aucune volonté, n'ayant d'autre utilité pour la chaîne alimentaire, que de bouffer les humains. Qu'ils disparaissent serait un bienfait pour cette île. Ceux que l'on appelle les dévoreurs voraces toutefois, sont une autre paire de manche.

- Les... dévoreurs voraces ? Tu veux dire que tu es... ? Il recula d'un pas.

- Si je voulais vraiment te dévorer toi et les tiens, je n'aurai qu'à me servir, et je ne vous aurai certainement pas aidé à vous renforcer. Le ton de Zakk se fit plus dur et ferme. Comprends bien. L'organisation est tombée, et le but des hommes en noir survivants aura peu de chance cette fois, de protéger au passage les habitants de cette île. Ils sont après tout, les créateurs des yômas. À l’intérieur comme au delà de notre continent, de grandes puissances se rassemblent. Toi comme moi, nous avons besoin de force pour y résister. Je vous offre donc l'occasion de survivre à cette nouvelle ère. Mieux, de grandir et peut-être de devenir un pouvoir qui compte. Certains dévoreurs pourraient devenir un atout pour vous. Pourquoi crois-tu que plus aucun yôma ne se trouve dans votre région ? Tes troupes sont douées, mais pas à ce point.


Au fur et à mesure du discours de l'éveillé, la lame de Tiberias s'était abaissée. Le vieil homme toutefois, n'avait pas cessé de reculer. Son regard ne cessait de faire l'aller retour entre la créature devant lui, et la porte de sa maison. De toute évidence, il hésitait encore à appeler des renforts. Mais Zakk voyait la réalisation dans son regard, que cela ne lui serait d'aucune aide ici.
L'ancien numéro trois avait bien choisi. Cet humain possédait un excellent instinct. Si lui et les autres villages se montraient aussi froids avec les Claymores, c'était par peur et ignorance plutôt que véritable rejet. Et Zakk comptait bien remédier à cela.

- Je n'imagine pas te convaincre en quelques mots. Je vais repartir, et revenir demain. Nous en discuterons plus avant à tête reposée.

Zakk se détourna et avança vers la table au centre de la pièce. Par principe, il termina le verre de lait de chèvre, avant de frapper le cul du broc sur la table.

- Je vous remercie de votre hospitalité, noble Tiberias. Il avait repris son ton cordial d'auparavant.

S'inclinant bien bas, il sourit et quitta la maison. Les gardes au dehors l'observèrent avec méfiance
mais n'esquissèrent aucun mouvement pour l'arrêter.
Une fois hors de vue des villageois, Zakk bondit au sommet d'un arbre et attendit. Il y retournerai certes le lendemain, mais il n'était pas question de les laisser envoyer un messager prévenir un quelconque autre village.




- Tu les a donc convaincus ? Vraiment ?

Malgré sa mâchoire aux longues dents acérées, Siria parvint néanmoins à émettre un sifflement à la fois impressionné et quelques peu soulagé. Non pas que ce village avait la moindre importance à ses yeux, mais elle savait que l'alternative aurait fait souffrir Zakk.
Il pouvait très bien tuer des êtres humains sans scrupules. Il s'agissait après tout de leur source de nourriture. Elle était cependant consciente que de procéder à des exécutions sommaires sans but ou pouvant être évitées, ne le réjouissait absolument pas.
Et pourtant, si les villageois de Nybor avaient refusé d'écouter l'ancien numéro trois, il aurait dû tous les exterminer.
Siria était heureuse qu'il n'ai pas eu à faire quelque-chose qui le répugnait autant.

- Solon ? De toute évidence, il ne voulait pas s'attarder sur le sujet.

- Il est déjà parti. Répondit-elle, son expression taciturne habituelle retrouvée. Nous ne le reverrons plus.

Zakk s'avança vers une fenêtre de la forteresse des monts Zakol. Depuis le dernier étage, on pouvait voir par dessus les bois et collines qui s'étendaient au delà. Les lumières de la cité sainte de Rabona étaient feintes, mais elle aussi visibles. L'éveillé respira une grande bouffée d'air.
Les jours à venir allaient sans doute se révéler difficiles. Il y avait encore tant à faire, et tant de choses pouvaient encore se mettre sur leur route. Ils devaient pourtant réussir. L'alternative risquait d'être un peu trop déplaisante à son goût.
Son regard se posa finalement vers la forêt de Nemeton, a plusieurs lieues d'ici. Là où Riful reprenait peu à peu ses forces. Une fois que cette dernière aurait récupéré, alors la véritable partie commencerait.